Le système des noms de domaine a connu une évolution majeure avec l’apparition des extensions territoriales qui vont au-delà des classiques .com ou .org. Des extensions comme .eu, .paris ou .berlin représentent aujourd’hui un enjeu stratégique pour les entreprises et les institutions. Ces domaines géographiques soulèvent des questions juridiques spécifiques en matière de propriété intellectuelle, de droit applicable et de résolution des litiges. Face à la multiplication de ces extensions, une connaissance approfondie du cadre réglementaire s’avère indispensable pour sécuriser sa présence en ligne tout en respectant les particularités locales. Ce régime juridique complexe mérite d’être analysé dans ses multiples dimensions.
Fondements et évolution du cadre juridique des extensions territoriales
Les extensions territoriales de noms de domaine s’inscrivent dans un cadre juridique qui a considérablement évolué depuis la création du système des noms de domaine. À l’origine, l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), organisme américain créé en 1998, a été chargé de la coordination technique du système des noms de domaine. Cette organisation a progressivement ouvert la voie à la diversification des extensions, notamment avec l’introduction des ccTLD (country code Top-Level Domain) correspondant aux codes pays à deux lettres définis par la norme ISO 3166-1.
L’évolution s’est poursuivie en 2012 avec le programme des nouveaux gTLD (generic Top-Level Domain) qui a permis l’émergence d’extensions géographiques plus précises comme .paris, .berlin ou .nyc. Cette diversification a nécessité la mise en place d’un cadre réglementaire adapté, tenant compte des spécificités territoriales et des droits nationaux.
La gouvernance de ces extensions territoriales repose sur un système à plusieurs niveaux. Au sommet se trouve l’ICANN qui délègue la gestion des extensions à des opérateurs techniques, souvent des entités publiques ou parapubliques pour les extensions territoriales. Par exemple, le registre Afnic gère l’extension .fr, tandis que EURid est responsable du .eu. Ces organismes établissent leurs propres règles d’attribution et de gestion, tout en respectant le cadre général défini par l’ICANN.
Le droit européen a joué un rôle déterminant dans la structuration juridique des extensions territoriales, notamment avec le Règlement (CE) n° 733/2002 concernant la mise en œuvre du domaine de premier niveau .eu, complété par le Règlement (UE) 2019/517 qui a modernisé ce cadre. Ces textes définissent les conditions d’éligibilité, les procédures d’enregistrement et les mécanismes de protection des droits pour l’extension .eu.
Au niveau national, chaque pays dispose généralement d’une législation spécifique encadrant son extension nationale. En France, le Code des postes et des communications électroniques contient des dispositions relatives à la gestion du .fr, tandis que la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004 aborde certains aspects liés aux noms de domaine.
Les principes directeurs de l’attribution des noms de domaine territoriaux
L’attribution des noms de domaine territoriaux repose sur plusieurs principes fondamentaux :
- Le principe du premier arrivé, premier servi, qui reste la règle générale d’attribution
- Le principe de connexité territoriale, qui exige souvent un lien entre le demandeur et le territoire concerné
- Le principe de non-discrimination, particulièrement présent dans les textes européens
- Le principe de protection des droits antérieurs, qui vise à prévenir le cybersquatting
Ces principes s’articulent avec des règles d’éligibilité variables selon les extensions. Par exemple, l’extension .eu est réservée aux personnes physiques résidant dans l’Espace Économique Européen et aux organisations qui y sont établies, tandis que l’extension .paris nécessite un lien démontrable avec la ville de Paris.
Régimes juridiques spécifiques des principales extensions territoriales
Les extensions territoriales se caractérisent par une grande diversité de régimes juridiques, reflétant les particularités locales et les objectifs poursuivis par les autorités de gestion. L’analyse de ces différents cadres permet de mieux comprendre les enjeux associés à chaque type d’extension.
Le cas particulier de l’extension .eu
L’extension .eu constitue un exemple emblématique d’extension supranationale. Créée par le Règlement (CE) n° 733/2002 et gérée par l’organisme EURid, elle vise à renforcer l’identité européenne sur internet. Le cadre juridique de cette extension a été modernisé par le Règlement (UE) 2019/517, entré en application le 13 octobre 2022.
Les critères d’éligibilité pour l’enregistrement d’un nom de domaine en .eu sont définis par l’article 4 du Règlement 2019/517 : peuvent enregistrer un tel nom les citoyens de l’Union européenne indépendamment de leur lieu de résidence, les personnes physiques résidant dans un État membre ou en Norvège, Islande ou Liechtenstein, ainsi que les entreprises établies dans ces territoires. Suite au Brexit, les titulaires britanniques ont dû justifier d’une présence dans l’EEE pour conserver leurs noms de domaine.
En matière de résolution des litiges, l’extension .eu dispose d’une procédure spécifique appelée ADR (Alternative Dispute Resolution), gérée par la Cour d’arbitrage tchèque. Cette procédure permet de contester l’enregistrement de noms de domaine spéculatifs ou abusifs, en se fondant sur des droits antérieurs comme les marques ou les noms commerciaux.
Les extensions nationales (ccTLD) et leur encadrement
Les extensions nationales comme .fr, .de ou .uk obéissent à des règles spécifiques définies par les registres nationaux, tout en s’inscrivant dans le cadre général établi par l’ICANN. L’extension .fr, gérée par l’Afnic (Association Française pour le Nommage Internet en Coopération), illustre bien cette catégorie.
Le cadre juridique du .fr repose sur l’article L45 et suivants du Code des postes et des communications électroniques, qui définit les principes généraux d’attribution et de gestion des noms de domaine français. L’Afnic a été désignée comme office d’enregistrement par un arrêté ministériel du 25 juin 2012, renouvelé en 2017.
Les conditions d’éligibilité pour l’enregistrement d’un nom de domaine en .fr ont été progressivement assouplies. Initialement réservée aux entités françaises, cette extension est maintenant accessible aux personnes physiques et morales résidant dans l’Espace Économique Européen. Des restrictions subsistent pour certains termes sensibles, notamment ceux liés aux institutions publiques ou aux professions réglementées.
Pour la résolution des litiges, l’Afnic a mis en place une procédure appelée SYRELI (Système de Résolution des Litiges), complétée par la procédure PARL (Procédure Alternative de Résolution des Litiges) qui permet de recourir à un expert indépendant. Ces mécanismes visent à traiter efficacement les cas de cybersquatting et d’atteinte aux droits des tiers.
Les extensions géographiques infra-nationales
Les extensions comme .paris, .berlin ou .bzh représentent une catégorie plus récente, issue du programme de nouveaux gTLD lancé par l’ICANN en 2012. Ces extensions sont généralement gérées par des entités privées en partenariat avec les autorités locales concernées.
Le cadre juridique de ces extensions repose sur le contrat de registre conclu avec l’ICANN, qui définit les obligations de l’opérateur technique. Ce contrat est complété par des politiques spécifiques définies par chaque registre, souvent en concertation avec les autorités locales.
Les critères d’éligibilité varient selon les extensions. Certaines, comme .paris, exigent un lien démontrable avec le territoire concerné (résidence, activité professionnelle), tandis que d’autres sont ouvertes à tous sans restriction territoriale, mais avec des conditions d’utilisation spécifiques.
En matière de résolution des litiges, ces extensions sont généralement soumises à la UDRP (Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy) de l’ICANN, parfois complétée par des procédures spécifiques définies par le registre concerné.
Protection des droits de propriété intellectuelle dans le contexte des extensions territoriales
La multiplication des extensions territoriales a considérablement accru les risques d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle. Ce phénomène a nécessité l’adaptation des mécanismes juridiques de protection et la mise en place de stratégies spécifiques pour les titulaires de droits.
Articulation entre droit des marques et noms de domaine territoriaux
Le droit des marques et le système des noms de domaine entretiennent une relation complexe, particulièrement dans le contexte des extensions territoriales. Le principe de territorialité qui régit le droit des marques se heurte au caractère mondial d’internet, créant des situations potentiellement conflictuelles.
La protection des marques face aux enregistrements abusifs de noms de domaine repose sur plusieurs fondements juridiques. En droit français, l’article L713-5 du Code de la propriété intellectuelle sanctionne l’utilisation d’une marque pour des produits ou services non similaires lorsque cette utilisation porte préjudice au propriétaire de la marque ou constitue une exploitation injustifiée. L’action en concurrence déloyale ou en parasitisme peut compléter ce dispositif.
Au niveau européen, le Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne offre une protection uniforme sur l’ensemble du territoire de l’Union. Cette protection peut être invoquée contre des enregistrements abusifs de noms de domaine, y compris sous des extensions territoriales.
Le principe de spécialité des marques soulève des questions particulières dans le contexte des noms de domaine. En effet, un nom de domaine peut être utilisé pour des activités diverses, potentiellement dans plusieurs classes de produits ou services. La jurisprudence a progressivement défini les contours de cette articulation, reconnaissant généralement une atteinte lorsque le nom de domaine crée un risque de confusion avec une marque antérieure dans un domaine d’activité similaire.
Mécanismes spécifiques de résolution des litiges
Face à la multiplication des conflits entre marques et noms de domaine, des procédures spécifiques de résolution des litiges ont été développées. Ces procédures alternatives aux actions judiciaires traditionnelles visent à offrir une réponse rapide et adaptée aux spécificités du numérique.
La procédure UDRP (Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy), adoptée par l’ICANN en 1999, constitue le socle commun de ces mécanismes. Elle s’applique à l’ensemble des gTLD et à certains ccTLD qui l’ont volontairement adoptée. Cette procédure permet au titulaire d’une marque de contester l’enregistrement d’un nom de domaine identique ou similaire à sa marque, enregistré de mauvaise foi et sans droit légitime par un tiers.
Pour les extensions territoriales, des procédures spécifiques ont souvent été développées. L’extension .eu dispose de la procédure ADR, tandis que le .fr propose les procédures SYRELI et PARL. Ces procédures présentent des variations dans leurs critères d’appréciation et leurs modalités, mais partagent l’objectif de lutter contre le cybersquatting.
La jurisprudence issue de ces procédures a progressivement défini les contours de la notion de mauvaise foi. L’absence d’utilisation effective du nom de domaine, la proposition de vente au titulaire de la marque, ou l’enregistrement massif de noms de domaine correspondant à des marques connues constituent autant d’indices généralement retenus.
Stratégies préventives pour les titulaires de droits
Face aux risques liés à la multiplication des extensions territoriales, les titulaires de droits de propriété intellectuelle sont amenés à développer des stratégies préventives adaptées.
La veille sur les nouvelles extensions constitue une première étape indispensable. Les titulaires de marques doivent être informés des ouvertures de nouvelles extensions territoriales pour anticiper d’éventuels enregistrements abusifs.
- L’enregistrement défensif de noms de domaine dans les principales extensions territoriales pertinentes pour l’activité
- L’utilisation des mécanismes de protection préventive comme le Trademark Clearinghouse de l’ICANN
- Le recours aux services de surveillance des noms de domaine
- La définition d’une politique claire de nommage et de gestion des noms de domaine
Le Trademark Clearinghouse mérite une attention particulière. Mis en place par l’ICANN dans le cadre du programme des nouveaux gTLD, ce mécanisme permet aux titulaires de marques d’enregistrer leurs droits dans une base de données centralisée. Cet enregistrement offre deux avantages : la possibilité de participer aux périodes prioritaires d’enregistrement (Sunrise) et un service de notification informant le titulaire de la marque lorsqu’un tiers enregistre un nom de domaine correspondant à sa marque.
Défis juridiques liés à la territorialité du droit applicable
La dimension territoriale des extensions de noms de domaine soulève d’importantes questions quant à la détermination du droit applicable et de la juridiction compétente en cas de litige. Ces questions revêtent une importance pratique considérable pour les acteurs économiques opérant à l’international.
Détermination de la loi applicable aux litiges impliquant des extensions territoriales
La détermination du droit applicable aux litiges relatifs aux noms de domaine territoriaux s’avère complexe en raison de la nature transfrontalière d’internet. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte pour établir ce rattachement juridique.
En matière contractuelle, le droit applicable est généralement celui désigné dans les conditions générales d’enregistrement du registre concerné. Par exemple, les conditions d’enregistrement de l’Afnic pour le .fr prévoient l’application du droit français, tandis que celles d’EURid pour le .eu désignent le droit belge, siège de l’organisation.
En matière délictuelle, notamment pour les actions en contrefaçon ou en concurrence déloyale, la situation est plus complexe. Le Règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles prévoit, en son article 8, que la loi applicable à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle est celle du pays pour lequel la protection est revendiquée. Cette règle, combinée au principe de territorialité des droits de propriété intellectuelle, peut conduire à l’application de lois différentes selon les pays concernés.
La jurisprudence a progressivement dégagé des critères de rattachement spécifiques aux litiges relatifs aux noms de domaine. La Cour de cassation française a ainsi considéré, dans plusieurs arrêts, que le droit français était applicable dès lors que le site accessible via le nom de domaine litigieux visait le public français, indépendamment de l’extension utilisée.
Compétence juridictionnelle et exécution des décisions
La question de la juridiction compétente pour connaître des litiges relatifs aux noms de domaine territoriaux est intimement liée à celle du droit applicable, mais obéit à des règles distinctes.
En matière contractuelle, la compétence est généralement déterminée par les clauses attributives de juridiction contenues dans les conditions d’enregistrement. Ces clauses désignent souvent les tribunaux du siège du registre concerné.
En matière délictuelle, le Règlement Bruxelles I bis (Règlement (UE) n° 1215/2012) prévoit, pour les litiges impliquant des parties européennes, que le défendeur peut être attrait devant les tribunaux de son domicile ou, en matière délictuelle, devant les tribunaux du lieu où le fait dommageable s’est produit. La Cour de Justice de l’Union Européenne a précisé, dans l’affaire eDate Advertising (CJUE, 25 octobre 2011, C-509/09), que ce lieu pouvait être celui où le dommage est survenu ou celui où le fait générateur s’est produit.
L’exécution des décisions judiciaires relatives aux noms de domaine territoriaux pose des défis spécifiques. Si la décision ordonne le transfert ou la suppression d’un nom de domaine, son exécution dépendra de la coopération du registre concerné. Cette coopération est généralement assurée pour les décisions rendues par les juridictions du pays du registre, mais peut s’avérer plus problématique pour les décisions étrangères.
Les décisions issues des procédures alternatives de résolution des litiges (UDRP, ADR, SYRELI, etc.) bénéficient d’une exécution simplifiée, puisque les registres se sont engagés contractuellement à les mettre en œuvre. Toutefois, ces décisions peuvent être contestées devant les juridictions étatiques dans un délai généralement fixé à dix jours.
Impact des réglementations locales sur l’utilisation des extensions territoriales
Au-delà des questions de droit applicable et de compétence juridictionnelle, l’utilisation des extensions territoriales peut être soumise à des réglementations locales spécifiques, susceptibles d’en affecter l’exploitation.
Certaines législations imposent des obligations particulières aux sites utilisant une extension nationale. En France, la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) impose des obligations d’identification aux éditeurs de sites internet, indépendamment de l’extension utilisée, mais ces obligations peuvent être perçues comme plus strictes pour les sites en .fr, censés cibler spécifiquement le public français.
Les réglementations sectorielles peuvent également avoir un impact sur l’utilisation des extensions territoriales. Dans le domaine de la santé, par exemple, l’utilisation de termes médicaux dans les noms de domaine en .fr est soumise à des restrictions spécifiques, conformément aux dispositions du Code de la santé publique.
La protection des données personnelles constitue un autre domaine où les réglementations locales peuvent affecter l’utilisation des extensions territoriales. Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) s’applique aux traitements visant des personnes situées dans l’Union européenne, indépendamment de l’extension du nom de domaine utilisé. Toutefois, l’utilisation d’une extension européenne comme .eu ou .fr peut être considérée comme un indice du ciblage du public européen, entraînant l’application du RGPD.
Perspectives et évolutions stratégiques des extensions territoriales
Le paysage des extensions territoriales de noms de domaine connaît des mutations profondes qui reflètent les évolutions technologiques, économiques et sociales. Ces transformations ouvrent de nouvelles perspectives tout en soulevant des défis inédits pour les acteurs concernés.
Tendances récentes et futures du marché des extensions territoriales
Le marché des extensions territoriales est marqué par plusieurs tendances significatives qui dessinent les contours de son évolution future.
La diversification des extensions territoriales se poursuit, avec l’apparition d’extensions de plus en plus spécifiques. Après les extensions nationales (.fr, .de) et les extensions de villes (.paris, .nyc), on observe l’émergence d’extensions liées à des régions (.bzh pour la Bretagne, .corsica pour la Corse) ou à des communautés culturelles (.cat pour la Catalogne).
Cette diversification s’accompagne d’une spécialisation croissante des politiques d’enregistrement. Les registres définissent des règles de plus en plus précises concernant l’éligibilité et l’utilisation de leurs extensions, visant à garantir un lien authentique avec le territoire ou la communauté concernée.
On observe également une professionnalisation de la gestion des extensions territoriales. Les registres développent des services à valeur ajoutée (sécurité renforcée, analyses statistiques, etc.) et mettent en place des politiques de qualité visant à renforcer la confiance des utilisateurs.
La concurrence entre extensions s’intensifie, conduisant certains registres à adopter des stratégies marketing plus agressives. Cette concurrence peut parfois conduire à un assouplissement des conditions d’enregistrement pour attirer davantage de titulaires.
Enjeux de cybersécurité liés aux extensions territoriales
Les extensions territoriales soulèvent des enjeux spécifiques en matière de cybersécurité, tant pour les registres que pour les titulaires de noms de domaine.
La sécurité des infrastructures de gestion des noms de domaine constitue un enjeu majeur. Les registres d’extensions territoriales doivent faire face à des menaces croissantes (attaques par déni de service, tentatives d’intrusion, etc.) qui pourraient compromettre la disponibilité ou l’intégrité des noms de domaine.
Le protocole DNSSEC (Domain Name System Security Extensions) représente une avancée significative pour sécuriser le système des noms de domaine contre certaines formes d’attaques, notamment le cache poisoning. De nombreux registres d’extensions territoriales ont déployé cette technologie et encouragent leurs titulaires à l’adopter.
La protection des données personnelles des titulaires de noms de domaine constitue un autre enjeu de taille. Traditionnellement accessibles via le service Whois, ces données font désormais l’objet d’une protection renforcée, notamment sous l’impulsion du RGPD. Les registres d’extensions territoriales européennes ont dû adapter leurs pratiques pour se conformer à cette réglementation.
La lutte contre les usages malveillants des noms de domaine (phishing, distribution de malwares, etc.) mobilise également les registres d’extensions territoriales. Certains, comme l’Afnic pour le .fr, ont mis en place des systèmes de détection et de suspension rapide des noms de domaine utilisés à des fins frauduleuses.
Implications stratégiques pour les entreprises et les institutions
La multiplication des extensions territoriales offre aux entreprises et aux institutions de nouvelles opportunités stratégiques, tout en les confrontant à des choix complexes.
Le choix des extensions territoriales à utiliser doit s’inscrire dans une stratégie globale de présence en ligne. Une entreprise internationale peut opter pour une combinaison d’extensions reflétant ses marchés prioritaires, tandis qu’une institution locale privilégiera une extension territoriale spécifique pour affirmer son ancrage.
La communication de marque peut être significativement renforcée par l’utilisation d’extensions territoriales pertinentes. Une extension comme .paris ou .berlin peut contribuer à l’image d’une entreprise en soulignant son lien avec une ville réputée pour un secteur d’activité particulier.
Les extensions territoriales peuvent également servir de leviers pour le référencement local. Certains moteurs de recherche prennent en compte l’extension du nom de domaine dans leurs algorithmes de pertinence géographique, ce qui peut offrir un avantage pour le positionnement sur des requêtes localisées.
La gestion d’un portefeuille de noms de domaine incluant diverses extensions territoriales nécessite une approche structurée. Les entreprises doivent définir des priorités claires, mettre en place des processus de surveillance et d’action, et coordonner leurs enregistrements avec leur stratégie de protection des marques.
- Établir une cartographie des marchés prioritaires et des extensions correspondantes
- Définir une politique cohérente de nommage à travers les différentes extensions
- Mettre en place une veille sur les nouvelles extensions pertinentes
- Coordonner la gestion des noms de domaine avec la stratégie de propriété intellectuelle
Pour les institutions publiques, les extensions territoriales représentent un outil de souveraineté numérique. L’utilisation d’extensions nationales ou locales pour les services publics en ligne contribue à affirmer l’identité numérique du territoire et à renforcer la confiance des usagers.
Vers une harmonisation internationale du cadre juridique des extensions territoriales
La fragmentation actuelle du cadre juridique des extensions territoriales soulève des défis considérables pour les acteurs internationaux. Face à cette situation, des initiatives d’harmonisation émergent, portées par diverses organisations et motivées par la recherche d’une plus grande sécurité juridique.
Initiatives d’harmonisation et coordination internationale
Plusieurs initiatives visent à harmoniser les règles applicables aux extensions territoriales, ou du moins à faciliter leur coordination au niveau international.
L’ICANN joue un rôle central dans ces efforts d’harmonisation. À travers ses différents organes, notamment le Governmental Advisory Committee (GAC), elle favorise le dialogue entre les différentes parties prenantes et l’émergence de bonnes pratiques communes. Le Guide du candidat pour les nouveaux gTLD a établi un cadre général pour les extensions géographiques, en prévoyant notamment des procédures spécifiques pour les noms géographiques sensibles.
L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) contribue également à l’harmonisation des règles relatives à la protection des droits de propriété intellectuelle dans le contexte des noms de domaine. Elle administre la procédure UDRP et a développé une jurisprudence substantielle qui influence les pratiques des différents registres.
Au niveau européen, l’Union européenne a joué un rôle pionnier en établissant un cadre harmonisé pour l’extension .eu. Ce cadre pourrait servir de modèle pour d’autres initiatives régionales d’harmonisation.
Les associations de registres, comme le CENTR (Council of European National Top-Level Domain Registries) en Europe, favorisent également le partage d’expériences et l’élaboration de pratiques communes entre les différents gestionnaires d’extensions territoriales.
Défis persistants et solutions envisageables
Malgré ces initiatives, des défis considérables persistent dans la perspective d’une harmonisation du cadre juridique des extensions territoriales.
La diversité des systèmes juridiques nationaux constitue un obstacle majeur à l’harmonisation. Les différences en matière de droit des marques, de protection des données personnelles ou de responsabilité des intermédiaires techniques compliquent l’émergence d’un cadre unifié.
Les intérêts divergents des différentes parties prenantes représentent un autre défi. Les titulaires de droits de propriété intellectuelle plaident généralement pour un renforcement des mécanismes de protection, tandis que d’autres acteurs mettent l’accent sur la liberté d’expression ou l’innovation.
La souveraineté numérique revendiquée par de nombreux États peut également freiner les efforts d’harmonisation. Certains pays considèrent leur extension nationale comme un élément de leur souveraineté et sont réticents à accepter des règles communes qui limiteraient leur autonomie.
Face à ces défis, plusieurs approches complémentaires peuvent être envisagées :
- Le développement de principes directeurs communs laissant une certaine flexibilité dans leur mise en œuvre
- L’harmonisation régionale, à l’image de ce qui existe pour l’extension .eu
- La création de mécanismes de coordination entre les différents registres et autorités nationales
- Le renforcement de la transparence et de l’accessibilité des règles applicables à chaque extension
Prospective juridique : vers un droit transnational des noms de domaine ?
Au-delà des initiatives actuelles d’harmonisation, on peut s’interroger sur l’émergence progressive d’un véritable droit transnational des noms de domaine, qui transcenderait les frontières traditionnelles entre les ordres juridiques nationaux.
Ce droit transnational s’appuierait sur plusieurs sources complémentaires : les contrats conclus entre l’ICANN et les registres, les politiques adoptées par les différentes parties prenantes, la jurisprudence issue des procédures alternatives de résolution des litiges, et les bonnes pratiques développées par les acteurs du secteur.
L’émergence de normes techniques communes constitue déjà une forme d’harmonisation de facto. Des protocoles comme DNSSEC ou RDAP (Registration Data Access Protocol) établissent des standards techniques qui influencent indirectement les pratiques juridiques.
La jurisprudence des procédures alternatives de résolution des litiges, notamment celle de l’UDRP, a progressivement élaboré un corpus de principes qui transcendent les particularités nationales. Des notions comme la mauvaise foi dans l’enregistrement d’un nom de domaine ou l’intérêt légitime du titulaire ont acquis une signification relativement stable au niveau international.
Les contrats conclus entre les différents acteurs du système des noms de domaine (ICANN, registres, bureaux d’enregistrement, titulaires) forment un réseau normatif complexe qui constitue une autre source de ce droit transnational en formation.
Ce droit transnational des noms de domaine présenterait l’avantage d’une meilleure adaptation à la nature globale d’internet. Il permettrait de dépasser les limites inhérentes à l’approche territoriale traditionnelle, tout en préservant certaines spécificités locales légitimes.
Toutefois, son développement soulève des questions fondamentales en termes de légitimité démocratique et d’articulation avec les ordres juridiques nationaux. La gouvernance de ce droit transnational, et notamment le rôle respectif des États, des organisations internationales, du secteur privé et de la société civile, constitue un enjeu majeur pour l’avenir.
