Le factoring dans le contentieux bancaire : enjeux, procédures et solutions

Le factoring constitue une solution de financement privilégiée pour les entreprises confrontées à des problèmes de trésorerie. Cette technique financière, qui consiste en la cession des créances commerciales à un établissement spécialisé appelé factor, permet d’obtenir un financement immédiat tout en externalisant la gestion du poste client. Néanmoins, malgré ses avantages indéniables, le factoring engendre fréquemment des litiges entre les parties prenantes. Ces contentieux, dont la complexité s’accentue avec la sophistication des opérations de factoring, mettent en jeu des considérations juridiques variées relevant tant du droit bancaire que du droit commercial. Ce texte propose d’examiner les principaux aspects du factoring sous l’angle du contentieux, en analysant les sources de litiges, les mécanismes de résolution et les évolutions récentes de la jurisprudence en la matière.

Fondements juridiques du factoring et sources potentielles de contentieux

Le factoring repose sur un cadre juridique complexe qui combine plusieurs mécanismes de droit civil et commercial. Au cœur de ce dispositif se trouve la cession de créance, régie par les articles 1321 et suivants du Code civil, mais également par les dispositions spécifiques de la loi Dailly (loi n°81-1 du 2 janvier 1981, codifiée aux articles L.313-23 à L.313-35 du Code monétaire et financier). Cette dualité de régimes juridiques constitue en soi une première source potentielle de contentieux.

La convention de factoring établit une relation triangulaire entre l’adhérent (l’entreprise qui cède ses créances), le factor (l’établissement financier qui rachète ces créances) et le débiteur cédé (le client de l’adhérent). Cette structure tripartite multiplie les interfaces susceptibles de générer des litiges. L’analyse des contentieux révèle que les principaux points d’achoppement concernent la validité même de la cession, l’opposabilité des exceptions et la détermination des responsabilités en cas de défaillance du débiteur.

Problématiques liées à la validité de la cession

Les litiges relatifs à la validité de la cession portent fréquemment sur le respect des formalités substantielles. La Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises l’importance du bordereau de cession, dont les mentions obligatoires sont prescrites à peine de nullité. Ainsi, l’arrêt de la chambre commerciale du 14 décembre 2010 (n°09-69.807) a invalidé une cession dont le bordereau ne comportait pas la mention du débiteur cédé.

Une autre source majeure de contentieux réside dans la détermination du caractère certain de la créance cédée. Le factor peut refuser de régler l’adhérent lorsqu’il estime que la créance n’est pas certaine dans son principe ou son montant. Cette situation survient notamment en cas de contestation de la marchandise livrée ou du service rendu par le débiteur cédé. La jurisprudence tend à considérer que le factor ne peut se prévaloir de l’exception d’inexécution opposée par le débiteur que si le contrat de factoring le prévoit expressément.

  • Défaut de conformité des bordereaux de cession
  • Contestation du caractère certain de la créance
  • Problèmes liés à l’information du débiteur cédé
  • Questions relatives à la date de transfert de propriété de la créance

Les contentieux peuvent également naître de l’application des clauses contractuelles spécifiques, telles que les clauses de réserve de propriété ou les clauses de garantie. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 15 février 2018, a ainsi jugé que le factor pouvait légitimement se prévaloir de la clause de garantie pour exiger le remboursement des sommes avancées lorsque le débiteur cédé contestait la créance pour des motifs inhérents à l’exécution du contrat commercial sous-jacent.

Procédures contentieuses spécifiques au factoring

Les litiges en matière de factoring donnent lieu à des procédures contentieuses qui présentent certaines particularités procédurales. La nature tripartite de l’opération complexifie l’identification du tribunal compétent et la détermination des parties à l’instance.

En matière de compétence juridictionnelle, les litiges relatifs au factoring relèvent généralement de la compétence du tribunal de commerce, compte tenu de la nature commerciale des opérations sous-jacentes. Toutefois, lorsque le litige porte exclusivement sur l’exécution du contrat de factoring lui-même, la compétence peut être attribuée au tribunal judiciaire, notamment si l’une des parties n’a pas la qualité de commerçant.

La question de la prescription constitue un enjeu majeur dans les contentieux de factoring. Si l’action de l’adhérent contre le factor relève de la prescription quinquennale de droit commun prévue par l’article 2224 du Code civil, l’action du factor contre le débiteur cédé obéit à des règles plus complexes. La Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 3 mai 2016 (n°14-28.962), que le recours du factor contre le débiteur cédé se prescrit selon les règles applicables à la créance transmise, ce qui peut entraîner l’application de délais spécifiques selon la nature de la créance.

Particularités des voies d’exécution en matière de factoring

Les voies d’exécution disponibles pour le factor présentent certaines spécificités. En cas de défaillance du débiteur cédé, le factor dispose des mêmes droits que l’adhérent initial et peut donc mettre en œuvre les garanties attachées à la créance. Cependant, l’exercice de ces droits peut se heurter à diverses difficultés pratiques.

L’une des problématiques récurrentes concerne l’articulation entre les procédures collectives et les opérations de factoring. Lorsque le débiteur cédé fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, le factor doit déclarer sa créance dans les délais légaux. La jurisprudence a précisé les modalités de cette déclaration, notamment dans un arrêt de la chambre commerciale du 13 septembre 2017 (n°16-10.206), où la Cour de cassation a jugé que le factor devait déclarer personnellement sa créance, sans pouvoir se prévaloir de la déclaration effectuée par l’adhérent.

Les mesures conservatoires constituent également un outil précieux dans l’arsenal procédural du factor. La saisie conservatoire des créances ou des comptes bancaires du débiteur cédé peut être mise en œuvre dès lors que la créance paraît fondée en son principe et qu’il existe des circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. Toutefois, la mise en œuvre de ces mesures doit respecter le cadre strict défini par le Code des procédures civiles d’exécution.

  • Procédures d’injonction de payer
  • Saisies conservatoires et saisies-attributions
  • Articulation avec les procédures collectives
  • Actions en référé-provision

Le contentieux du factoring se caractérise également par l’utilisation fréquente des procédures d’urgence, notamment le référé-provision prévu par l’article 835 du Code de procédure civile. Cette voie procédurale permet au factor d’obtenir rapidement une provision lorsque l’obligation du débiteur n’est pas sérieusement contestable. La jurisprudence admet largement le recours à cette procédure en matière de factoring, à condition que la créance présente un caractère certain dans son principe.

Responsabilités et obligations des parties dans les litiges de factoring

La répartition des responsabilités entre les différents acteurs du factoring constitue un enjeu central dans les contentieux qui en découlent. Les obligations respectives de l’adhérent, du factor et du débiteur cédé sont souvent au cœur des litiges.

L’adhérent est soumis à une obligation d’information et de transparence vis-à-vis du factor. Il doit notamment garantir l’existence et la validité des créances cédées. La jurisprudence sanctionne sévèrement les manquements à cette obligation, comme l’illustre un arrêt de la chambre commerciale du 5 avril 2016 (n°14-20.169), dans lequel la Cour a condamné un adhérent qui avait cédé des créances fictives à indemniser intégralement le factor.

Le factor, en tant qu’établissement financier, est tenu à une obligation de vigilance et doit vérifier la régularité des créances qui lui sont cédées. Cette obligation a été renforcée par la jurisprudence récente, qui tend à considérer que le factor ne peut se prévaloir de sa qualité de cessionnaire de bonne foi lorsqu’il n’a pas effectué les vérifications minimales requises. Ainsi, dans un arrêt du 7 février 2018, la Cour d’appel de Versailles a jugé qu’un factor avait commis une faute en finançant des créances manifestement douteuses sans procéder aux vérifications d’usage.

Étendue de la garantie du factor

L’une des questions centrales du contentieux du factoring concerne l’étendue de la garantie offerte par le factor. Selon les termes du contrat, le factor peut assumer un risque d’insolvabilité plus ou moins étendu. La distinction entre factoring avec recours et factoring sans recours est déterminante à cet égard.

Dans le cadre du factoring avec recours, le factor conserve la possibilité de se retourner contre l’adhérent en cas de défaillance du débiteur cédé. Les litiges portent alors fréquemment sur les conditions d’exercice de ce recours, notamment sur le respect des délais contractuels pour notifier l’impayé à l’adhérent. La jurisprudence tend à interpréter strictement ces clauses contractuelles, comme l’illustre un arrêt de la chambre commerciale du 8 novembre 2017 (n°16-17.296), dans lequel la Cour a jugé que le factor avait perdu son droit de recours faute d’avoir respecté le délai contractuel de notification de l’impayé.

Dans le cadre du factoring sans recours, le factor assume pleinement le risque d’insolvabilité du débiteur cédé. Toutefois, cette garantie connaît certaines limites, notamment en cas de litige commercial entre l’adhérent et le débiteur cédé. La jurisprudence considère généralement que la garantie du factor ne couvre pas les litiges commerciaux, sauf stipulation contractuelle contraire. Ainsi, dans un arrêt du 3 octobre 2018, la Cour d’appel de Paris a jugé que le factor pouvait légitimement refuser sa garantie lorsque le débiteur cédé invoquait une exception d’inexécution liée à la mauvaise qualité des produits livrés par l’adhérent.

  • Responsabilité de l’adhérent en cas de cession de créances litigieuses
  • Obligation de vigilance du factor
  • Limites de la garantie en cas de litige commercial
  • Répartition des frais de recouvrement

La question de la responsabilité en cas de fraude mérite une attention particulière. Les contentieux liés à des opérations frauduleuses, notamment la cession de créances fictives ou la double cession, donnent lieu à une jurisprudence abondante. La Cour de cassation a développé une approche nuancée, tenant compte à la fois de la gravité de la fraude commise par l’adhérent et du degré de vigilance dont a fait preuve le factor. Dans un arrêt du 9 mai 2019, la chambre commerciale a ainsi jugé que le factor pouvait engager la responsabilité pénale de l’adhérent pour escroquerie lorsque ce dernier avait sciemment cédé des créances inexistantes.

Enjeux internationaux du contentieux du factoring

La dimension internationale du factoring soulève des problématiques spécifiques en matière de contentieux. Le développement des échanges commerciaux transfrontaliers a conduit à l’émergence d’opérations de factoring international, régies par des règles particulières.

La Convention d’Ottawa du 28 mai 1988 sur l’affacturage international constitue le cadre de référence en la matière. Ratifiée par la France et entrée en vigueur le 1er mai 1995, cette convention fixe des règles uniformes pour les opérations de factoring international. Elle précise notamment les conditions de validité de la cession et les modalités d’opposabilité aux tiers. Toutefois, son champ d’application reste limité aux relations entre les parties à la convention, ce qui restreint sa portée pratique.

En l’absence de convention internationale applicable, les litiges relatifs au factoring international sont régis par les règles de droit international privé. La détermination de la loi applicable constitue un enjeu majeur, qui peut influencer significativement l’issue du litige. En droit européen, le Règlement Rome I (Règlement n°593/2008 du 17 juin 2008) prévoit que, à défaut de choix par les parties, la loi applicable à la cession de créance est celle qui régit la créance cédée. Toutefois, l’opposabilité de la cession aux tiers est généralement soumise à la loi de la résidence habituelle du cédant.

Problématiques juridictionnelles spécifiques

La détermination de la juridiction compétente en matière de factoring international soulève également des difficultés particulières. En droit européen, le Règlement Bruxelles I bis (Règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012) prévoit que le défendeur peut être attrait devant les juridictions de son domicile ou, en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande.

L’application de ces règles au factoring international a donné lieu à une jurisprudence complexe. Dans un arrêt du 18 juillet 2013 (affaire C-147/12), la Cour de justice de l’Union européenne a précisé que, dans le cadre d’une action en responsabilité intentée par un factor contre un débiteur cédé, le lieu d’exécution de l’obligation correspondait au lieu de paiement de la créance cédée, tel que déterminé par le contrat initial entre l’adhérent et le débiteur cédé.

Les litiges internationaux en matière de factoring se complexifient encore lorsque le débiteur cédé est soumis à une procédure d’insolvabilité dans un État étranger. Le Règlement européen sur les procédures d’insolvabilité (Règlement n°2015/848 du 20 mai 2015) prévoit des règles spécifiques pour déterminer la loi applicable aux effets de la procédure d’insolvabilité sur les cessions de créances. Ces règles visent à concilier le principe d’universalité de la procédure d’insolvabilité avec la protection des droits des tiers acquis de bonne foi.

  • Application de la Convention d’Ottawa
  • Détermination de la loi applicable à la cession
  • Compétence juridictionnelle en matière internationale
  • Impact des procédures d’insolvabilité transfrontalières

L’exécution transfrontalière des décisions constitue également un enjeu majeur du contentieux international du factoring. Si le Règlement Bruxelles I bis facilite la reconnaissance et l’exécution des décisions au sein de l’Union européenne, des difficultés persistent lorsque l’exécution doit être poursuivie dans un État tiers. La négociation d’accords bilatéraux ou multilatéraux en matière de reconnaissance et d’exécution des jugements représente un défi constant pour les acteurs du factoring international.

Évolutions récentes et perspectives d’avenir du contentieux en matière de factoring

Le contentieux du factoring connaît des évolutions significatives, sous l’effet conjugué des innovations technologiques, des modifications législatives et des tendances jurisprudentielles. Ces évolutions dessinent les contours d’un paysage juridique en pleine mutation.

La digitalisation des opérations de factoring constitue l’une des transformations majeures du secteur. Le développement des plateformes électroniques de cession de créances et la dématérialisation des bordereaux soulèvent de nouvelles questions juridiques, notamment en matière de preuve et de sécurisation des transactions. La loi PACTE du 22 mai 2019 a consacré la possibilité d’utiliser la technologie blockchain pour la cession de créances, ouvrant ainsi la voie à des innovations prometteuses. Toutefois, cette évolution technologique génère également de nouveaux risques contentieux, liés notamment à la sécurité des données et à la validité des consentements exprimés par voie électronique.

Sur le plan législatif, plusieurs réformes récentes ont impacté le cadre juridique du factoring. La réforme du droit des contrats, issue de l’ordonnance du 10 février 2016 et de la loi de ratification du 20 avril 2018, a modifié en profondeur le régime de la cession de créance de droit commun. L’introduction de la cession de créance simplifiée à l’article 1321 du Code civil offre désormais une alternative à la cession Dailly, dont les effets sont similaires mais dont le champ d’application est plus large. Cette évolution pourrait influencer les stratégies contentieuses des factors, qui disposent désormais d’un éventail plus large d’instruments juridiques.

Tendances jurisprudentielles émergentes

L’analyse des décisions récentes révèle certaines tendances jurisprudentielles significatives. On observe notamment un renforcement des obligations d’information et de conseil à la charge des factors. Dans un arrêt du 12 septembre 2018, la Cour de cassation a ainsi considéré qu’un factor avait manqué à son obligation d’information en n’alertant pas suffisamment l’adhérent sur les risques liés à la situation financière précaire du débiteur cédé.

Parallèlement, la jurisprudence tend à accorder une importance croissante à la bonne foi dans l’exécution des contrats de factoring. Les tribunaux sanctionnent de plus en plus sévèrement les comportements déloyaux, qu’ils émanent de l’adhérent, du factor ou du débiteur cédé. Cette évolution s’inscrit dans un mouvement plus général de moralisation des relations d’affaires, particulièrement sensible dans le domaine bancaire et financier.

L’impact du droit de la consommation sur le contentieux du factoring mérite également d’être souligné. Bien que les opérations de factoring s’inscrivent traditionnellement dans un cadre B2B (business to business), la jurisprudence récente tend à étendre certaines protections consuméristes aux petites entreprises en position de faiblesse. Cette tendance se manifeste notamment dans l’appréciation du caractère abusif de certaines clauses des contrats de factoring, en particulier celles relatives aux frais et commissions.

  • Impact de la digitalisation sur les litiges
  • Renforcement des obligations d’information du factor
  • Extension des protections consuméristes aux TPE/PME
  • Développement de modes alternatifs de résolution des conflits

Les modes alternatifs de résolution des conflits connaissent un développement significatif dans le domaine du factoring. La médiation bancaire, instituée par la loi du 11 décembre 2001 et renforcée par l’ordonnance du 20 août 2015, offre un cadre propice au règlement amiable des litiges. De même, l’arbitrage connaît un regain d’intérêt, particulièrement dans les opérations de factoring international. Ces modes alternatifs de résolution des conflits présentent l’avantage de la confidentialité et de la rapidité, deux atouts considérables dans un secteur où la préservation des relations commerciales constitue souvent une priorité.