La législation française en matière de copropriété connaît une évolution constante pour s’adapter aux enjeux contemporains de l’habitat collectif. Depuis la loi ELAN de 2018 jusqu’aux récentes modifications introduites en 2023, le cadre juridique s’est considérablement transformé. Ces mutations réglementaires affectent directement la gouvernance des immeubles, les obligations des syndics, les modalités de prise de décision et la gestion financière des copropriétés. Pour les copropriétaires comme pour les professionnels du secteur, maîtriser ces nouvelles dispositions devient indispensable pour garantir une gestion harmonieuse et conforme au droit.
La dématérialisation des assemblées générales : cadre juridique et modalités pratiques
L’une des évolutions majeures dans la gestion des copropriétés concerne la tenue des assemblées générales à distance. Le décret n° 2020-1228 du 8 octobre 2020, initialement conçu comme une réponse temporaire à la crise sanitaire, a été pérennisé par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022. Cette réforme autorise désormais la participation à distance aux assemblées générales, sans qu’une clause spécifique du règlement de copropriété soit nécessaire.
Pour être valable, la participation à distance doit respecter certaines conditions techniques. Le dispositif utilisé doit permettre l’identification précise des copropriétaires participants et garantir la confidentialité des votes. L’article 17-1 A de la loi du 10 juillet 1965, modifié par l’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, précise que « les votes par correspondance sont pris en compte pour le calcul du quorum » et que « les formulaires ne donnant aucun sens précis de vote ou exprimant une abstention sont considérés comme des votes défavorables ».
En pratique, le syndic doit notifier, avec la convocation à l’assemblée générale, les modalités techniques de connexion et de participation. Cette notification doit intervenir au moins 21 jours avant la date de l’assemblée, conformément à l’article 9 du décret du 17 mars 1967. Le procès-verbal de l’assemblée générale doit mentionner les noms des copropriétaires ayant participé par visioconférence ou par tout autre moyen de communication électronique.
La jurisprudence récente de la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 7 juillet 2022, n° 21-16.986) a précisé que l’absence de mention dans le procès-verbal des moyens techniques utilisés pour la participation à distance constitue une irrégularité formelle susceptible d’entraîner la nullité des délibérations. Cette exigence jurisprudentielle renforce la nécessité d’une rédaction minutieuse des procès-verbaux par le syndic.
Les copropriétaires conservent néanmoins le droit de contester la fiabilité du système de vote électronique. Le Tribunal judiciaire de Paris, dans un jugement du 15 mars 2023, a reconnu la possibilité d’annuler une assemblée générale en cas de défaillance avérée du système de vote électronique ayant pu influencer le résultat des délibérations.
La réforme du fonds de travaux et ses implications financières
Le fonds de travaux, rendu obligatoire par la loi ALUR de 2014 pour les copropriétés de plus de cinq ans, a connu une réforme substantielle avec la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique. L’article 58 de cette loi a modifié l’article 14-2 de la loi du 10 juillet 1965, renforçant considérablement les obligations des copropriétés en matière de provision financière.
Depuis le 1er janvier 2023, le montant minimal de la cotisation annuelle au fonds de travaux est passé de 5% à 2,5% du budget prévisionnel, mais avec une extension significative de son assiette. En effet, ce pourcentage s’applique désormais non seulement au budget prévisionnel, mais aussi au coût des travaux nécessaires à la conservation et à la mise aux normes de l’immeuble identifiés dans le plan pluriannuel de travaux (PPT) ou le diagnostic technique global (DTG).
Cette réforme introduit une logique anticipative dans la gestion financière des copropriétés. Le décret n° 2022-1074 du 29 juillet 2022 précise les modalités de calcul et d’affectation de ce fonds. Il stipule que le montant de la cotisation est calculé en fonction des quotes-parts de copropriété, mais l’assemblée générale peut décider, à la majorité de l’article 25, d’une répartition différente selon l’utilité que les travaux présentent pour chaque lot.
Exceptions et cas particuliers
Certaines copropriétés bénéficient d’exceptions à cette obligation :
- Les copropriétés comprenant moins de dix lots à usage de logements, de bureaux ou de commerces
- Les copropriétés dont le diagnostic technique global (DTG) ne fait apparaître aucun besoin de travaux dans les dix prochaines années
La jurisprudence récente (CA Paris, Pôle 4, ch. 2, 2 février 2023, n° 21/17523) a confirmé que l’absence de constitution d’un fonds de travaux obligatoire constitue une irrégularité substantielle justifiant l’annulation de l’approbation des comptes par l’assemblée générale. Cette décision souligne l’importance du respect strict de cette obligation légale.
Les sommes versées au fonds de travaux sont désormais attachées aux lots et définitivement acquises au syndicat des copropriétaires. En cas de vente d’un lot, le vendeur ne peut exiger aucun remboursement au titre des sommes versées. Cette disposition, codifiée à l’article 14-2, III de la loi du 10 juillet 1965, modifie significativement les implications financières des transactions immobilières en copropriété.
Le plan pluriannuel de travaux : une nouvelle obligation de gestion prévisionnelle
La loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021 a instauré l’obligation d’établir un plan pluriannuel de travaux (PPT) pour un grand nombre de copropriétés. Cette mesure, codifiée à l’article 14-1 de la loi du 10 juillet 1965, vise à encourager une approche prospective de l’entretien des immeubles et à faciliter la transition énergétique du parc immobilier français.
Le PPT doit être établi pour une période de dix ans et comprendre une liste des travaux nécessaires à la conservation de l’immeuble, à la préservation de la santé et de la sécurité des occupants, ainsi qu’à la réduction des impacts énergétiques. Le décret n° 2022-1074 du 29 juillet 2022 précise que ce plan doit inclure une estimation du niveau de performance énergétique que les travaux permettront d’atteindre.
La mise en œuvre de cette obligation suit un calendrier progressif :
– Pour les copropriétés de plus de 200 lots : obligation depuis le 1er janvier 2023
– Pour les copropriétés entre 51 et 200 lots : obligation à partir du 1er janvier 2024
– Pour les copropriétés de 50 lots ou moins : obligation à partir du 1er janvier 2025
Le plan doit être élaboré par une personne disposant de compétences techniques spécifiques, définies par l’arrêté du 6 septembre 2022. Ce professionnel doit justifier soit d’un diplôme de niveau minimum bac+3 dans le domaine de la construction, soit d’une expérience professionnelle d’au moins trois ans dans ce secteur, soit d’une certification dans le domaine du diagnostic technique immobilier.
Le PPT doit être présenté à l’assemblée générale des copropriétaires qui se prononce sur son adoption à la majorité simple de l’article 24. Une fois adopté, il doit être actualisé tous les dix ans. Le syndic est tenu de mettre à l’ordre du jour de l’assemblée générale les travaux prévus dans les trois premières années du plan.
La jurisprudence n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur les conséquences du non-respect de cette obligation, mais il est probable que les tribunaux considéreront, comme pour le fonds de travaux, qu’il s’agit d’une formalité substantielle dont l’omission peut justifier l’annulation de délibérations d’assemblées générales.
Les nouvelles règles de majorité et leurs conséquences sur la prise de décision
La loi n° 2022-217 du 21 février 2022, dite loi « 3DS », a apporté des modifications significatives aux règles de majorité applicables en assemblée générale de copropriété. Ces changements visent à fluidifier le processus décisionnel tout en préservant les droits des copropriétaires.
L’une des innovations majeures concerne les décisions relatives aux travaux d’économie d’énergie. Désormais, l’article 25 de la loi du 10 juillet 1965 prévoit que les travaux d’amélioration énergétique peuvent être votés à la majorité simple des copropriétaires présents ou représentés (article 24), lorsqu’ils s’inscrivent dans un bouquet de travaux permettant d’atteindre un niveau minimal de performance énergétique défini par le décret n° 2022-930 du 25 juin 2022.
Ce décret précise que sont concernés les travaux permettant d’atteindre la classe E au sens du diagnostic de performance énergétique (DPE), lorsque la copropriété est classée F ou G avant travaux. Cette mesure s’inscrit dans la stratégie nationale de lutte contre les « passoires thermiques » et facilite l’adoption de travaux de rénovation énergétique.
Par ailleurs, la loi 3DS a étendu le champ d’application du « passerelle de majorité » prévu à l’article 25-1. Ce mécanisme permet, lorsqu’une décision relevant normalement de la majorité absolue (article 25) recueille au moins le tiers des voix de tous les copropriétaires, de procéder immédiatement à un second vote à la majorité simple des présents (article 24). Cette possibilité s’applique désormais aux décisions relatives à l’installation de bornes de recharge pour véhicules électriques et aux travaux d’accessibilité aux personnes handicapées ou à mobilité réduite.
La jurisprudence récente de la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 9 mars 2023, n° 22-10.415) a apporté des précisions importantes sur l’application de ces règles de majorité. Elle a notamment indiqué que le mécanisme de passerelle ne peut être utilisé que si le président de séance constate expressément que la résolution a recueilli au moins le tiers des voix de tous les copropriétaires, et que cette constatation doit figurer au procès-verbal.
D’autre part, la mise en concurrence obligatoire des contrats de syndic a été assouplie. L’article 21 de la loi du 10 juillet 1965, modifié par l’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, prévoit désormais que l’assemblée générale peut décider, à la majorité de l’article 25, de ne pas procéder à cette mise en concurrence lorsque le syndicat comporte moins de quinze lots à usage de logements, de bureaux ou de commerces.
Ces modifications des règles de majorité s’accompagnent d’une évolution de la jurisprudence concernant la nullité des assemblées générales. La Cour de cassation tend à adopter une approche plus pragmatique, exigeant désormais que le demandeur en nullité démontre en quoi l’irrégularité invoquée lui a causé un préjudice (Cass. 3e civ., 30 juin 2022, n° 21-18.344).
La transformation numérique et la protection des données personnelles en copropriété
La digitalisation croissante de la gestion des copropriétés soulève des questions juridiques inédites, particulièrement en matière de protection des données personnelles. Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) s’applique pleinement aux syndicats de copropriétaires et aux syndics, comme l’a rappelé la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) dans sa délibération n° 2022-083 du 21 juillet 2022.
Cette délibération précise que le syndic, qu’il soit professionnel ou bénévole, est considéré comme le responsable de traitement des données personnelles des copropriétaires. À ce titre, il doit respecter plusieurs obligations : information des personnes concernées, limitation de la collecte aux données strictement nécessaires, mise en place de mesures de sécurité appropriées, et respect des droits des copropriétaires (accès, rectification, opposition).
La loi n° 2023-212 du 2 avril 2023 relative à l’extraterritorialité des données a introduit de nouvelles exigences concernant l’hébergement des données des copropriétaires. L’article 4 de cette loi impose que les données à caractère personnel des résidents français collectées dans le cadre de la gestion d’une copropriété soient hébergées au sein de l’Union européenne ou dans un État offrant un niveau de protection adéquat au sens du RGPD.
Cette obligation s’applique aux contrats conclus ou renouvelés après le 1er octobre 2023. Les syndics doivent donc vérifier que les prestataires informatiques auxquels ils font appel (éditeurs de logiciels de gestion, fournisseurs d’espaces de stockage en ligne, etc.) respectent ces nouvelles dispositions.
Par ailleurs, la communication numérique entre le syndic et les copropriétaires a été encadrée par le décret n° 2023-566 du 30 juin 2023. Ce texte précise les modalités selon lesquelles un copropriétaire peut consentir à recevoir par voie électronique les notifications et mises en demeure. Le consentement doit être exprès et peut être révoqué à tout moment par une notification adressée au syndic par lettre recommandée avec avis de réception.
La jurisprudence commence à se développer sur ces questions. Le Tribunal judiciaire de Nanterre, dans un jugement du 12 mai 2023, a considéré que l’installation de caméras de vidéosurveillance dans les parties communes d’une copropriété sans délibération préalable de l’assemblée générale constituait non seulement une violation des règles de la copropriété mais aussi une atteinte au RGPD, justifiant l’octroi de dommages-intérêts aux copropriétaires concernés.
Enfin, la CNIL a publié en septembre 2023 un guide pratique à destination des syndics et des syndicats de copropriétaires, détaillant les bonnes pratiques à adopter en matière de protection des données personnelles. Ce document recommande notamment la mise en place d’une politique de confidentialité spécifique à la copropriété, la tenue d’un registre des activités de traitement, et la désignation d’un délégué à la protection des données pour les syndics gérant un nombre important de copropriétés.
L’adaptation du cadre juridique aux nouveaux modes d’habiter
Le droit de la copropriété connaît une mutation profonde pour s’adapter aux évolutions sociétales et aux nouveaux modes d’habitation. La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 (loi 3DS) et ses décrets d’application ont introduit plusieurs dispositions novatrices concernant notamment la location de courte durée et les usages temporaires des parties communes.
Concernant les locations touristiques de type Airbnb, l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965, modifié par la loi 3DS, permet désormais à l’assemblée générale de définir, à la majorité de l’article 25, les modalités de réalisation et les critères de ces locations. Cette disposition répond aux difficultés croissantes rencontrées par les copropriétés confrontées à la multiplication des locations de courte durée, génératrices de nuisances et d’usure prématurée des équipements collectifs.
Le décret n° 2022-1076 du 29 juillet 2022 précise que ces critères peuvent porter notamment sur les périodes de location autorisées, les conditions d’accès aux parties communes, et les modalités d’information du syndic. En revanche, l’assemblée générale ne peut pas interdire totalement la location touristique, une telle interdiction relevant d’une modification du règlement de copropriété à l’unanimité des copropriétaires.
La jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 8 mars 2023, n° 21-11.562) a récemment précisé que les clauses des règlements de copropriété limitant l’usage des lots à l’habitation bourgeoise s’opposent à leur utilisation pour des locations touristiques de courte durée. Cette décision renforce la portée des stipulations contractuelles figurant dans les règlements de copropriété anciens.
Par ailleurs, la loi 3DS a créé un dispositif innovant permettant l’occupation temporaire de parties communes à des fins d’activité économique. L’article 24-9 de la loi du 10 juillet 1965 autorise désormais l’assemblée générale à décider, à la majorité de l’article 24, de conclure une convention d’occupation précaire pour l’exercice d’une activité non nuisante dans des parties communes intérieures ou extérieures.
Cette disposition ouvre de nouvelles perspectives pour la valorisation économique des espaces communs sous-utilisés (halls d’entrée spacieux, cours intérieures, toits-terrasses) tout en générant des revenus supplémentaires pour le syndicat des copropriétaires. Le décret n° 2022-1230 du 14 septembre 2022 précise que la durée maximale de ces conventions est de 23 mois, renouvelable par décision expresse de l’assemblée générale.
Enfin, la loi n° 2023-154 du 3 mars 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de mixité sociale a assoupli les règles relatives à la surélévation d’immeubles en copropriété. L’article 35 de la loi du 10 juillet 1965 a été modifié pour permettre au syndicat des copropriétaires de décider, à la majorité de l’article 26 (majorité des deux tiers), la cession du droit de surélévation à un opérateur de logement social. Cette mesure vise à encourager la création de logements sociaux dans les zones tendues tout en valorisant le patrimoine des copropriétaires.
Ces évolutions législatives témoignent de la capacité du droit de la copropriété à s’adapter aux défis contemporains de l’habitat collectif : transition écologique, révolution numérique, mixité sociale et nouvelles formes d’économie collaborative. Elles offrent aux copropriétés des outils juridiques innovants pour répondre aux attentes des habitants tout en préservant l’équilibre fragile entre droits individuels et intérêt collectif.
